10 févr. 2011

Les révolutions arabes et nous : tremblez brave gens !


Dans son dernier débat sur France 2, l’animateur Serge Calvi s’inquiétait de la montée possible de l’islamisme en Egypte et Tunisie. Nous allons voir pourtant que si nous laissons de côté les passions médiatiques pour analyser de manière rationnelle les contradictions entre l’Occident et le monde arabe, ces révolutions ne constituent pas une menace mais un exemple à suivre pour nous, Occidentaux. Nous avons la possibilité de construire un monde plus juste. Pourquoi en avoir peur ?

Tiens chérie, tu regardes un film d’épouvante ? Ca a l’air effrayant !
Mais non mon amour, c’est Serge Calvi qui parle des révolutions arabes dans Mots croisés.
 
 
Etonnant ! Ce lundi 07 février, l’émission Mots croisés, animée par Serge Calvi sur France 2, traitait des « révolutions arabes et nous ». Si personne n’a osé contester la légitimité des mouvements populaires qui embrasent la Tunisie, l’Egypte et d’autres pays de la région, l’animateur et certains de ses invités ont tout de même agité l’épouvantail islamiste, histoire de faire frissonner les téléspectateurs. On a ainsi évoqué la « crainte d’un scénario à l’iranienne », un « enthousiasme pour la liberté mais aussi des inquiétudes » ou bien encore « un soutien pas inconditionnel mais prudent ». Serge Calvi s’est également demandé avec beaucoup de style si la démocratie faisait « le jeu des barbus ». Mention spéciale enfin à Alain Finkielkraut qui, toujours égal à lui-même, a réussi à nous glisser « quelque chose qui irait plus dans le sens du choc des civilisations que dans le sens de l’instauration d’une démocratie visant à assurer à son peuple une vie digne et décente ».
 
Les Occidentaux doivent-ils craindre les révolutions arabes ? Le Proche, le Moyen-Orient, voir le monde, risquent-ils de plonger dans le chaos ? Des barbus fanatiques vont-ils partir, la burqa entre les dents, à l’assaut de notre Europe civilisée ? Pour répondre à ces questions, il faudrait commencer par analyser les contradictions profondes entre l’Occident et le monde arabe. Comme nous allons le voir, elles ne relèvent en rien d’un passionnel choc des civilisations, mais d’un système basé sur la recherche du profit maximum qui a conduit l’Occident à piller et oppresser les peuples arabes. Evidemment, Calvi et ses invités se gardent bien d’analyser ces mécanismes mais préfèrent extrapoler sur des peurs irrationnelles. C’est bon pour l’audimat. Ca permet aussi de continuer à asservir les sauvages et les barbus sans se remettre en question.


 
Le scénario à l’iranienne
 
A plusieurs reprises, la possibilité d’un scénario à l’iranienne a été évoquée durant l’émission. Et toujours en sous-entendant qu’il s’agissait de la pire issue possible pour la révolution égyptienne. C’est la magie du débat démocratique à la télévision : pas besoin de dire que l’Iran est le mal incarné, tout le monde le sait. Le débat peut ainsi se dérouler dans un périmètre implicitement convenu et acceptable.
 
Mais pourquoi un scénario à l’iranienne serait-il la pire des choses ? L’Iran est-il un pays dangereux ? A-t-il déjà attaqué un pays où qu’il soit dans le monde ? Jamais. En réalité, Serge Calvi pourrait plutôt demander si les Etats-Unis sont un pays dangereux. La réponse serait oui et non. Oui car l’Oncle Sam a mené plus d’offensives militaires que n’importe quel autre Etat de la planète.
Statistiquement, il y a donc plus de risques d’être attaqué un jour par les Etats-Unis que par l’Iran. Mais non, l’Oncle Sam n’est pas vraiment dangereux car depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’a remporté aucun conflit armé si ce n’est l’invasion de la Grenade en 1983.
 
Comment expliquer alors cette diabolisation de l’Iran ? Peut-être parce que c’est une dictature islamique et que son président Ahmadinejad est un farouche antisémite. Le problème, c’est que tout cela est faux.
 
Tout d’abord, l’Iran est-il une dictature ? Evidemment, dans le périmètre convenu du débat télévisé, tout le monde est d’accord pour dire qu’Ahmadinejad a truqué les dernières élections. Mais une analyse un peu sérieuse de la situation en Iran et des sondages réalisés par un think tank de la famille Rockefeller (que l’on peut difficilement taxer de supporter inconditionnel d’Ahmadinejad) remettent en cause cette vérité acquise. Même si l’Etat islamique n’est pas un havre de libertés pour ses citoyens, il n’est pas l’horrible dictature qu’on essaie de nous faire croire.
 
L’Iran est-il néanmoins un bastion de l’antisémitisme ? N’importe qui peut se rendre dans ce pays du Moyen-Orient et discuter avec des membres de l’importante communauté juive qui y vit pour voir que cette affirmation est fausse. La communauté juive dispose même de représentants au parlement. En matière de dictature antisémite, on peut faire mieux. Le tout est de ne pas confondre l’opposition à la politique du gouvernement israélien avec la haine des juifs.
 
Reste que l’Iran est un Etat islamique. Mais s’agit-il vraiment d’un problème pour les Occidentaux ? Le royaume d’Arabie Saoudite est aussi un Etat islamique mais cela n’a jamais vraiment contrarié l’Occident. Au contraire, les Etats-Unis ont annoncé il y a quelques mois vouloir conclure avec ce pays une vente d’armes record se chiffrant à soixante milliards de dollars. Si l’islamisme représentait un réel danger pour l’Occident, l’administration de Barack Obama, prix Nobel de la paix, chercherait-elle à vendre aux Saoudiens des avions F-15 et des hélicoptères de combat pour un montant capable d’éradiquer la faim dans le monde ?
 
Notons également qu’en matière de dictature et d’antisémitisme, l’Iran n’a pas de leçons à recevoir de l’Arabie Saoudite : ce royaume féodal, anachronique, est régi par un système de monarchie absolue ; la famille royale monopolise les richesses du pays ; les manifestations y sont formellement interdites ; et les juifs n’ont pas le droit d’y exercer leur culte.
 
S’il voulait vraiment nous faire peur, Serge Calvi aurait donc évoqué un scénario à la saoudienne. Mais le fait est que les questions de la démocratie, de l’antisémitisme et de l’islamisme ne constituent pas vraiment le cœur du problème. Si l’Iran est le diable, c’est parce qu’il mène une politique indépendante des puissances occidentales. Et si on ne parle jamais de l’Arabie Saoudite, c’est parce que ce pays est un allié privilégié de Washington.

 

Les raisons de la colère
 
Nous touchons donc le cœur du problème. Si des gouvernements démocratiques devaient émerger dans le monde arabe, représentant réellement les aspirations des peuples, nous, Occidentaux, pourrions craindre en effet que ces gouvernements manifestent un certain ressentiment à notre égard. Pas parce que nous aurions en face de nous des fanatiques religieux, mais au contraire, des gens lucides qui pourraient nous en vouloir d’avoir imposé pendant des années des dictateurs violents et corrompus.
Par conséquent, si les Occidentaux veulent construire des relations justes et pacifiques avec le monde arabe, il ne faut pas attendre de ce dernier qu’il accepte d’avantage les dictateurs que nous lui choisissons. Il faut attaquer le problème à la racine, chez nous, en nous posant déjà la question : pourquoi devons-nous imposer des dictatures au Tiers-Monde pour défendre nos intérêts ? 
 
La réponse se trouve dans note système économique basé sur la course au profit maximum. En effet, dans le capitalisme libéral, les compagnies sont soumises à une concurrence sans merci. Dans cet univers impitoyable, il faut pouvoir réaliser un maximum de bénéfices pour ne pas être éliminé ou absorbé par les concurrents. C’est le sort réservé aux plus faibles qui disparaissent au profit de la formation de monopoles ou d’oligopoles. Ces mastodontes économiques détiennent réellement le pouvoir dans nos sociétés et se livrent à une compétition acharnée à l’échelle de la planète. Dans cette lutte sans merci, les grandes puissances capitalistes ont besoin pour leurs multinationales d’avoir un accès facile aux matières premières, d’exploiter une main d’œuvre bon marché, de trouver des débouchés pour les capitaux qu’elles accumulent et finalement, de contrôler les zones stratégiques pour le développement du commerce.
 
La domination des pays du Tiers-Monde a toujours permis aux puissances occidentales de rencontrer ces objectifs. C’est pourquoi elles sont hier parties coloniser les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine. Et c’est pourquoi aujourd’hui, elles continuent d’asservir ces pays sous une forme moins crue mais tout aussi détestable, grâce notamment aux préceptes fumeux de la Sainte Trinité néolibérale : Banque Mondiale, FMI et OMC. Amen, l’Occident civilisé règne en maître.
 
Oui mais le problème, c’est que les sauvages et les barbus ne sont pas toujours disposés à nous laisser profiter pour trois fois rien de leur pétrole, de leurs minerais, de leur gaz ou de n’importe quelle autre chose avec laquelle nous pouvons faire de l’argent. Certains rechignent même à travailler dans des conditions exécrables pour deux dollars par jour et viennent encore se plaindre quand ils trouvent les produits que nous leur vendons trop chers.
C’est là que les dictateurs entrent en scène ! Logiquement, un gouvernement démocratique, représentant les intérêts de sa population, n’accepterait pas que des multinationales pillent les richesses de son pays et asservissent ses citoyens. Il a donc fallu placer à la tête de ces pays du Tiers-Monde des dirigeants corrompus, prêts à laisser nos multinationales se servir librement, pourvu que la patte soit graissée. Pour maintenir ce système en place et empêcher toute forme de contestation, les puissances occidentales ont financé l’appareil répressif des dictateurs. On comprend mieux maintenant pourquoi Michèle Alliot-Marie a proposé son soutien à Ben Ali lorsqu’il faisait tirer sur la foule.
 
Si vous avez du mal à croire à tout cela, observez un peu ce qui s’est passé ces dernières années. Les Etats-Unis et l’Europe ont remplacé Lumumba par Mobutu en Afrique, Allende par Pinochet en Amérique Latine, Mossadegh par le shah Mohamed Reza au Moyen-Orient. La liste est longue, mais ce n’est pas tout.

 

Des guerres économiques

Parfois, les puissances occidentales n’arrivent pas à placer tranquillement une marionnette à la tête d’un pays. Ou alors, le cheval sur lequel elles avaient misé décide de ne plus suivre les règles du jeu. Dans ces cas-là, l’Occident n’hésite pas à faire parler la poudre à canon. Les Etats-Unis sont des spécialistes en la matière. Leur économie reposant en grande partie sur le complexe militaro-industriel, faire la guerre est une activité très lucrative.
 
Washington a ainsi attaqué l’Irak en 2003 pour faire main basse sur son pétrole. Evidemment, le motif de cette guerre n’était pas avouable. Colin Powell a donc d’abord agité une petite fiole dans une conférence de presse, prétendant détenir la preuve irréfutable que Saddam Hussein disposait d’armes de destructions massives. Ensuite, quand le pot aux roses a été découvert, Washington a prétendu que le président irakien était connecté au réseau terroriste d’Al-Qaïda. Des personnes ayant quelques connaissances du monde arabe ont alors attiré l’attention des dirigeants US sur le fait que ce prétexte ne tenait pas la route lui non plus. Finalement, Georges W. Bush a pris une grande inspiration, posé son regard sur l’horizon et déclaré que les Etats-Unis attaquait l’Irak pour apporter la démocratie au peuple irakien. C’était l’argument imparable qui a permis à Bush d’envoyer de nombreux jeunes gens se faire tuer sur le front. La vérité, c’est que toutes les guerres sont économiques.
 
En effet, si Bush se souciait vraiment de la démocratie dans le monde, il ne lui était pas nécessaire de courir aussi loin qu’en Irak. Porter un peu d’attention aux paramilitaires colombiens qui assassinent des syndicalistes et des militants des droits de l’homme à quelque pas de chez lui aurait suffi. Si c’était déjà trop, il aurait pu au moins s’abstenir d’appuyer un coup d’Etat contre Manuel Zelaya, président démocratiquement élu du Honduras.
 
Le fait est que la démocratie n’a rien à voir dans tout ça et que pour les multinationales US, il était plus lucratif d’attaquer l’Irak qu’un pays économiquement soumis comme la Colombie. Tant pis pour les victimes des bombes au phosphore blanc interdites par les conventions internationales. Tant pis pour les personnes privées d’eau et d’électricité. Tant pis pour les cinq millions d’orphelins recensés en Irak en 2008. Les multinationales doivent faire du profit, et elles n’aiment pas qu’on leur résiste.
 
Autre guerre économique : l’Afghanistan. Officiellement, les Etats-Unis sont partis renverser le régime des Talibans parce qu’il soutenait Ben Laden. En réalité, le gouvernement afghan a proposé au lendemain du 11 septembre de faire juger l’ennemi public numéro 1 par un tribunal islamique, sur base des preuves que lui fournirait l’administration Bush. Evidemment, la démarche faisait couler le véritable objectif des Etats-Unis : se débarrasser d’un régime qu’ils avaient eux-mêmes porté au pouvoir quelques années auparavant mais qui refusait de laisser la compagnie texane Unocal développer un projet de pipeline dans le pays. Quand la marionnette n’obéit plus, les missiles pleuvent.

 

Notre révolution
 
Au regard de l’Histoire, de ces coups d’Etats que nous avons fomentés, de ces dictateurs que nous avons imposés et de ces bombes que nous avons larguées, nous devrions donc comprendre que les citoyens du monde arabe puissent nous en vouloir un petit peu !
 
Nous ne devons cependant pas craindre de voir la démocratie émerger en Tunisie, en Egypte ou dans d’autres pays de la région. D’abord parce que l’épouvantail islamiste qu’agite Serge Calvi est le produit-même de la dictature et de l’oppression qu’ont subies les populations musulmanes. Ensuite, parce que les contradictions profondes qui pourraient opposer l’Occident au monde arabe dépendent essentiellement d’un système d’exploitation que nous, Occidentaux, avons mis sur pied pour accaparer les richesses du Tiers-Monde. La pomme de la discorde a poussé dans notre jardin, à nous donc d’attaquer le problème à la racine.
 
Il ne faut pas voir les révolutions arabes comme une menace pour nos valeurs occidentales, mais au contraire, comme des opportunités pour construire des relations plus justes, basées sur le respect mutuel. Les révolutions arabes ne doivent pas nous inquiéter, elles doivent nous inspirer. Lorsque nous aurons décidé d’en découdre avec ce système basé sur la course au profit maximum, des relations justes et équitables pourront s’établir.
 
Invité sur le plateau de Mots Croisés ce lundi 07 février, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, faisait profil bas devant la volonté farouche des peuples d’Egypte et de Tunisie d’en finir avec la dictature. Pourtant, ce sémillant « droits-de-l’hommiste » déclarait il y a cinq ans que les peuples du Sud n’étaient pas assez mûrs pour la démocratie. C’est faux et les peuples arabes nous l’ont assez prouvé ces derniers jours en risquant leur vie pour en finir avec la dictature. En réalité, c’est l’Occident et ses multinationales qui ne sont pas prêts à accepter la démocratie dans le monde arabe. Et l’Occident ne le sera pas tant qu’il n’aura pas entamé sa propre révolution démocratique, tant qu’il n’aura pas renversé ce système qui chaque jour creuse un peu plus le fossé entre les riches et les pauvres, oppresse les peuples et détruit la planète. D’ici là, vous pouvez compter sur Serge Calvi pour vous faire frissonner tard le soir.
 
 
 

Aucun commentaire: