L’Amérique fasciste, en dix mesures faciles ( 2007)
Traduction française: SOTT
L’automne dernier, il y a eu un coup d’état militaire en Thaïlande. Les leaders du coup d’état ont pris un certain nombre de mesures, plutôt systématiquement, comme s’ils avaient une liste d’achats. En un sens, c’est ce qu’ils avaient. En quelques jours, la démocratie a été supprimée : les chefs du coup d’état ont décrété la loi martiale, envoyé des soldats en armes dans les zones résidentielles, pris en main les stations de radio et de télévision, et mis des activistes patentés en détention.
Ils ne comprenaient pas ces choses à mesure qu’elles progressaient. Si vous regardez l’histoire, vous pouvez voir qu’il y a essentiellement un plan pour
transformer une société libre en une dictature. Ce plan a été utilisé à maintes reprises en versant plus ou moins de sang, de manières plus ou moins terrifiantes. Mais c’est toujours efficace. Il est très difficile et ardu de créer et maintenir une démocratie – mais l’histoire montre qu’en supprimer une est bien plus simple. Vous n’avez qu’à être disposé à prendre les dix mesures.
Aussi difficile que ce soit à contempler, il est clair, si vous êtes disposé à regarder, que chacune de ces 10 mesures a déjà été initiée aujourd’hui aux Etats-Unis par l’administration Bush.
Parce que les Américains comme moi sont nés dans la liberté, nous avons du mal à considérer même qu’il est possible pour nous de devenir aussi peu libres – au sein du pays – que beaucoup d’autres nations. Parce que nous n’apprenons plus beaucoup nos droits et notre système de gouvernement – le devoir de connaître la constitution a été retiré de la propriété des citoyens pour devenir le domaine des professionnels comme les juristes et les professeurs – nous reconnaissons rarement le système d’équilibre des pouvoirs que les fondateurs ont mis en place, même s’ils sont systématiquement démantelés. Parce que nous n’apprenons plus l’histoire européenne, la mise sur pied d’un département de sécurité de la « patrie » - rappelez-vous qui d’autre était enthousiaste du mot « patrie » - n’a pas déclenché le signal d’alarme qu’elle aurait dû.
J’affirme que, sous notre nez, George Bush et son administration utilisent des tactiques éprouvées pour supprimer notre société libre. Il est temps pour nous de consentir à penser à l’impensable – comme l’auteur et le journaliste politique Joe Conason a dit que ça peut arriver ici. Et que nous sommes plus avancés que nous n’en avons conscience.
Conason a averti de manière éloquente du danger de l’autoritarisme américain. Je prétends que nous avons besoin aussi de regarder les leçons du fascisme européen et d’autres pour comprendre la gravité potentielle des événements que nous découvrons aux Etats-Unis.
1. Invoquer un ennemi interne et externe terrifiant
Après avoir été frappés le 11 septembre 2001, nous fûmes dans un état de choc national. Moins de six semaines plus tard, le 26 octobre 2001, le Patriot Act des Etats-Unis fut adopté par le Congrès qui a eu peu d’occasions d’en débattre ; beaucoup ont dit qu’ils ont eu à peine le temps de le lire. On nous a dits que nous étions maintenant sur un « pied de guerre » ; nous étions dans une « guerre mondiale » contre un « califat mondial » ayant l’intention de « balayer la civilisation. » Il y a eu d’autres temps de crise dans lesquels les Etats-Unis ont accepté des limites sur les libertés civiles, comme durant la guerre de Sécession quand Lincoln a décrété la loi martiale ; durant la seconde guerre mondiale, quand des milliers de citoyens américano-japonais furent internés. Mais cette situation est sans précédent, comme le note Bruce Fein de l’American Freedom Agenda : toutes nos autres guerres avaient un point final, donc le balancier était capable de revenir vers la liberté ; cette guerre est définie comme illimitée dans le temps et sans frontières nationales dans l’espace – la Terre elle-même est le champ de bataille. « Cette fois, » dit Fein, « il n’y aura pas de fin définie. »
Créer une menace terrifiante – comme une hydre secrète et malfaisante – est un vieux truc. Il peut être basé, comme l’invocation d’Hitler d’une menace communiste contre la sécurité de la nation, sur des événements réels (un universitaire du Wisconsin a été confronté à des appels à démissionner parce qu’il a noté, parmi d’autres choses, que l’incendie criminel soi-disant communiste, l’incendie du Reichstag de février 1933, fut rapidement suivi dans l’Allemagne nazie par les pleins pouvoirs [accordés à Hitler - NdT], qui remplacèrent la loi constitutionnelle par un état d’urgence illimité). Ou bien la menace terrifiante peut être basée sur un mythe, comme l’évocation nationale-socialiste de la « conspiration globale du judaïsme mondial. »
Ce n’est pas que le terrorisme islamique mondial ne soit pas un danger grave ; bien sûr qu’il l’est. Je prétends plutôt que le langage utilisé pour transférer la nature de la menace est différent dans un pays comme l’Espagne – qui a aussi souffert d’attaques terroristes violentes – de celui en Amérique. Les citoyens espagnols savent qu’ils font face à une grave menace de la sécurité ; ce que nous croyons, en tant que citoyens américains, est que nous sommes menacés potentiellement par la fin de la civilisation telle que nous la connaissons. Evidemment, cela nous rend encore plus enclins à accepter des restrictions de nos libertés.
2. Créer un goulag
Une fois que vous avez terrorisé tout le monde, la prochaine mesure est de créer un système de prison en dehors de la loi (comme Bush le dit, il voulait que le centre de détention américain de Guantanamo Bay soit situé dans un « espace extérieur » légal) – où la torture a lieu.
Au début, les gens qui sont envoyés là sont vus par les citoyens comme des étrangers : agitateurs, espions, « ennemis du peuple » ou « criminels. » Initialement, les citoyens tendent à soutenir le système de prison secret ; il les fait se sentir plus en sécurité et ils ne s’identifient pas avec les prisonniers. Mais suffisamment tôt, les leaders de la société civile – des membres de l’opposition, des activistes du travail, membres du clergé et journalistes – sont arrêtés et envoyés là également.
Ce processus a lieu dans des dérives fascistes et des prises de mesures sérieuses antidémocratiques allant de l’Italie et l’Allemagne dans les années 1920 et 1930 jusqu’aux coups d’état de l’Amérique latine des années 1970 et après. C’est une pratique usuelle de supprimer une société libre ou d’écraser un soulèvement pro démocratique.
Avec ses prisons en Irak et en Afghanistan et bien sûr, Guantanamo à Cuba, où les détenus subissent des sévices, et sont gardés indéfiniment sans jugement et sans accès à un procès légal, l’Amérique a maintenant certainement son goulag. Bush et ses alliés au Congrès ont annoncé récemment qu’ils ne diffuseraient aucune information sur les prisons secrètes des « sites noirs » de la CIA dans le monde, qui sont utilisées pour incarcérer des gens qui ont été arrêtés dans la rue.
Les goulags dans l’histoire tendent à se répandre, devenant toujours plus grands et plus secrets, toujours plus meurtriers et officialisés. Nous savons de récits, photos, vidéos et documents gouvernementaux de première main que des gens, innocents et coupables, ont été torturés dans les prisons gérées par les Etats-Unis que nous connaissons et celles que nous ne pouvons investiguer de manière adéquate.
Mais les Américains supposent toujours que ce système et que les sévices des détenus concernent seulement des gens basanés inquiétants avec lesquels ils ne s’identifient généralement pas. C’était courageux de la part du spécialiste conservateur William Safire de citer le pasteur anti-nazi Martin Niemöller, qui avait été arrêté comme prisonnier politique : « D’abord ils sont venus pour les Juifs. » La plupart des Américains ne comprennent pas encore que la destruction de la règle de la loi à Guantanamo établit un dangereux précédent pour eux aussi.
D’ailleurs, l’établissement des tribunaux militaires qui refusent un procès légal aux prisonniers tend à arriver tôt dans une dérive fasciste. Mussolini et Staline ont créé de tels tribunaux. Le 24 avril 1934, les Nazis, aussi, ont créé le Tribunal du Peuple, qui contournait aussi le système judiciaire : les prisonniers étaient gardés indéfiniment, souvent isolés, et torturés, sans être accusés de fautes, et étaient sujets à des procès-spectacles. En fin de compte, les Tribunaux Spéciaux sont devenus un système parallèle qui met la pression sur les tribunaux réguliers pour abandonner la règle de la loi en faveur de l’idéologie nazie dans la prise de décisions.
3. Développer une caste de voyous
Quand les leaders qui cherchent ce que j’appelle une « dérive fasciste » veulent supprimer une société libre, ils envoient des groupes paramilitaires de jeunes hommes effrayants pour terroriser les citoyens. Les Chemises Noires erraient dans la campagne italienne en frappant les communistes ; les Chemises Brunes tenaient des réunions violentes dans toute l’Allemagne. Cette force paramilitaire est particulièrement importante dans une démocratie : vous avez besoin des citoyens pour craindre la violence des voyous et donc vous avez besoin de voyous qui peuvent agir en toute impunité.
Les années qui suivirent le 11 septembre se sont avérées être une mine d’or pour les entreprises travaillant dans le domaine de la sécurité en Amérique, avec l’administration Bush épuisant les zones de travail qui incombaient généralement à l’armée américaine. Dans le processus, des contrats se chiffrant en centaines de millions de dollars ont été passés pour des travaux de sécurité par des mercenaires dans le pays et à l’étranger. En Irak, certains de ces contractants ont été accusés d’implication dans la torture des prisonniers, le harcèlement des journalistes et le tir contre des civils irakiens. Sous l’Ordre 17, donné aux contractants réguliers en Irak par l’administrateur américain à Bagdad, Paul Bremer, ces contractants sont protégés de toutes poursuites.
Oui, mais c’est en Irak, vous pouvez dire ; cependant, après l’ouragan Katrina, le département de la Sécurité de la Patrie a engagé et déployé des centaines de gardes de sécurité privés armés à la Nouvelle-Orléans. Le journaliste d’investigation Jeremy Scahill a interviewé un garde anonyme qui a tiré, selon les rapports, sur des civils non armés dans la ville. C’était un désastre naturel qui était à l’origine de cet épisode – mais la guerre sans fin contre le terrorisme de l’administration signifie une étendue continue pour ce qui se trouve être dans les faits des armées sous contrats privés pour ramener la gestion de crise et d’urgence au pays dans les villes américaines.
Des voyous en Amérique ? Des groupes de jeunes Républicains en colère, habillé en chemises et pantalons identiques, ont menacé des scrutateurs comptant les votes en Floride en 2000. Si vous lisez l’histoire, vous pouvez imaginer que ce peut être un besoin d’ « ordre public » le prochain jour d’élection. Disons qu’il y a des protestations, ou une menace, le jour d’une élection ; l’histoire n’exclurait pas la présence d’une société de sécurité privée à un bureau de vote « pour rétablir l’ordre public. »
4. Mettre en place un système de surveillance
Dans l’Italie de Mussolini, dans l’Allemagne nazie, dans l’Allemagne de l’Est communiste, dans la Chine communiste – dans toute société fermée – la police secrète espionne les gens ordinaires et encourage les voisins à espionner leurs voisins. La Stasi n’avait besoin de garder sous surveillance qu’une minorité des Allemands de l’Est pour convaincre une majorité qu’ils étaient eux-mêmes surveillés.
En 2005 et 2006, quand James Risen et Eric Lichtblau ont écrit dans le New York Times sur un programme d’Etat secret pour mettre les citoyens sur écoute téléphonique, lire leurs e mails et suivre les transactions financières internationales, il est devenu clair aux Américains ordinaires qu’ils pouvaient être aussi sous la surveillance de l’Etat.
Dans les sociétés fermées, cette surveillance est créée comme étant pour la « sécurité nationale » ; la véritable fonction est de garder les citoyens dociles et inhiber leur activisme et leur dissidence.
5. Harceler les groupes de citoyens
La cinquième chose que vous faites est liée à la 4e mesure – vous infiltrez et harcelez les groupes de citoyens. Ce peut être insignifiant : une église à Pasadena, dont le pasteur prêchait que Jésus était en faveur de la paix, s’est retrouvée investiguée par l’Internal Revenue Service (Service du Revenu Intérieur – NdT), tandis que les églises qui envoyaient voter des Républicains, ce qui est également illégal sous la loi des impôts américaine, ont été laissées tranquilles.
Un autre harcèlement est plus grave : l’American Civil Liberties Union rapporte que des milliers d’Américains ordinaires pacifistes, pour l’environnement et d’autres groupes ont été infiltrés par des agents : une base de données secrète du Pentagone comprend plus de quatre douzaines de meetings, rallyes et marches anti-guerre pacifiques par des citoyens américains dans sa catégorie des 1 500 « incidents suspects. » L’agence de Counterintelligence Field Activity (Cifa) du département de la Défense, également secrète, a rassemblé des informations sur des organisations intérieures engagées dans des activités politiques pacifiques : la Cifa est supposée traquer des « menaces terroristes potentielles » quand elle surveille les citoyens américains ordinaires activistes. Une nouvelle peu remarquée a redéfini comme du « terrorisme » l’activisme tel que les protestations pour les droits des animaux.
La définition de « terroriste » s’étend donc lentement pour inclure l’opposition.
6. S’engager dans des détentions et des libérations arbitraires
Cela fait peur aux gens. C’est un genre de jeu du chat et de la souris. Nicholas D Kristof et Sheryl WuDunn, les reporters d’investigation qui ont écrit la Chine s’éveille : la lutte pour l’âme d’une puissance montante, décrivent les activistes pro démocratiques en Chine, tels que Wei Jingsheng, qui sont arrêtés et relâchés de nombreuses fois. Dans une société qui se ferme ou qui est fermée il y a une « liste » de dissidents et de chefs de l’opposition : vous êtes visé de cette manière, et une fois que vous êtes sur la liste, et il est difficile d’en sortir.
En 2004, l’administration de la Sécurité des Transports de l’Amérique a confirmé qu’elle avait une liste de passagers qui étaient visés pour des recherches de sécurité ou pire s’ils essayaient de se sauver. Les gens qui se sont trouvés sur la liste ? Deux femmes d’âge moyen activistes pour la paix à San Francisco ; le sénateur libéral Edward Kennedy ; un membre du gouvernement du Venezuela – après avoir critiqué le président Bush ; et des milliers de citoyens américains ordinaires.
Le professeur Walter F Murphy est professeur émérite à l’université de Princeton ; il est un des érudits de la constitution les plus importants dans la nation et auteur du classique Constitutional Democracy. Murphy est aussi un ancien Marine décoré, et il n’est même pas particulièrement libéral politiquement. Mais en mars de cette année, on lui a refusé une carte d’embarquement à Newark, « parce que j’étais sur la liste de surveillance des terroristes. » « Avez-vous été dans des marches pour la paix ? Nous interdisons à un tas de gens de prendre l’avion à cause de ça, » a demandé l’employé de la compagnie aérienne.
« J’ai expliqué, » a dit Murphy, « que je n’avais pas participé mais j’avais donné en septembre 2006 une conférence à Princeton, télévisée et mise sur Internet, hautement critique de George Bush pour ses nombreuses violations de la constitution. »
« Ca doit être ça, » a dit l’homme.
Marcheur pour la paix ? Terroriste potentiel. Soutient la constitution ? Terroriste potentiel. L’histoire montre que les catégories des « ennemis du peuple » tendent à s’étendre toujours plus profondément dans la vie civile.
James Yee, un citoyen américain, était l’aumônier musulman à Guantanamo qui fut accusé de mauvaise gestion des documents classifiés. Il fut harcelé par l’armée américaine avant que les accusations contre lui ne soient abandonnées. Yee a été en détention et relâché plusieurs fois. Il est toujours un objet d’intérêt.
Brandon Mayfield, un citoyen américain et avocat en Oregon, fut identifié par erreur comme un terroriste possible. Sa maison fut cambriolée secrètement et son ordinateur réquisitionné. Bien qu’il soit innocent de l’accusation portée contre lui, il est toujours sur la liste.
C’est une pratique standard des sociétés fascistes qu’une fois que vous êtes sur la liste, vous ne pouvez en sortir.
7. Viser les individus clefs
Menacer de licenciement les fonctionnaires, artistes et universitaires s’ils ne suivent pas la ligne. Mussolini poursuivit les recteurs des universités d’Etat qui ne se conformaient pas à la ligne fasciste ; Goebbels a fait de même, qui purgeait les universitaires qui n’étaient pas pro-Nazis ; Augusto Pinochet a fait de même ; Le Politburo communiste chinois a fait de même en punissant les étudiants et les professeurs pro-démocratie.
L’Académie est un lieu explosif de l’activisme, donc ceux cherchant une dérive fasciste punissent les universitaires et les étudiants par des pertes d’emplois s’ils ne se « coordonnent » pas idéologiquement, selon les termes de Goebbels. Puisque les fonctionnaires sont le secteur de la société la plus vulnérable pour être licencié par un régime donné, ils sont aussi un groupe que les fascistes « coordonnent » dès le début : la loi du Reich pour le rétablissement d’un service civil professionnel fut adoptée le 7 avril 1933.
Les supporters de Bush dans les législatures de plusieurs Etats ont mis la pression sur les régents dans les universités d’Etat pour pénaliser ou licencier les universitaires qui avaient été critiques envers l’administration. En ce qui concerne les fonctionnaires, l’administration Bush a fait dérailler la carrière d’un avocat militaire qui parlait de procès honnêtes pour les détenus, tandis qu’un fonctionnaire de l’administration intimidait publiquement les sociétés juridiques qui représentent les détenus pro Bono en menaçant d’appeler à ce que leurs clients d’entreprises majeures les boycottent.
D’autre part, une contractante de la CIA qui a dit dans un blog fermé que « le waterboarding est de la torture » fut privée de son certificat de sécurité dont elle avait besoin pour faire son travail.
Très récemment, l’administration a licencié huit procureurs américains pour ce qui semble être une loyauté politique insuffisante. Quand Goebbels a purgé le service civil en avril 1933, les procureurs furent « coordonnés » également, une mesure qui facilitait le chemin des lois de plus en plus brutales qui allaient suivre.
8. Contrôler la presse
L’Italie dans les années 1920, l’Allemagne dans les années 1930, l’Allemagne de l’Est dans les années 1950, la Tchécoslovaquie dans les années 1960, les dictatures de l’Amérique latine dans les années 1970, la Chine dans les années 80 et 90 – toutes les dictatures et les dictateurs en puissance visaient les journaux et les journalistes. Ils les menacent et les harcèlent dans des sociétés plus libres qu’ils cherchent à fermer, et ils les arrêtent et font pire dans les sociétés qui ont déjà été fermées.
Le Comité pour la protection des journalistes dit que les arrestations de journalistes américains sont à un niveau jamais atteint : Josh Wolf (pas de relation), un blogger de San Francisco, a été incarcéré pour un an pour avoir refusé de transmettre une vidéo d’une manifestation pacifiste ; la Sécurité de la Patrie a porté plainte contre le reporter Greg Palast, prétendant qu’il avait menacé « l’infrastructure critique » quand lui et un producteur de télévision filmaient des victimes de l’ouragan Katrina en Louisiane. Palast avait écrit un best-seller critique de l’administration Bush.
D’autres reporters et écrivains ont été condamnés d’autres manières. Joseph C Wilson a accusé Bush, dans un éditorial du New York Times, de mener le pays à la guerre sur la base d’une fausse accusation disant que Saddam Hussein s’était procuré de l’uranium au Niger. Sa femme, Valerie Plame, fut renvoyée comme espionne de la CIA – une forme de représaille qui a mis fin à sa carrière.
La persécution et la perte d’emploi ne sont rien, cependant, comparés à la manière dont les Etats-Unis traitent les journalistes cherchant à couvrir d’une manière impartiale le conflit en Irak. Le comité de protection des journalistes a documenté de multiples comptes rendus de l’armée américaine en Irak tirant sur ou menaçant de tirer sur des reporters et des caméramans indépendants d’organisations allant de Al-Jazeera à la BBC. Bien que les occidentaux puissent mettre en doute les compte rendus de Al-Jazeera, ils devraient faire attention aux comptes rendus des reporters tels que Kate Adie de la BBC. Dans certains cas, les reporters ont été blessés ou tués, y compris Terry Lloyd de ITN en 2003. A la fois CBS et l’Associated Press en Irak eurent des membres capturés par l’armée américaine et emmenés dans des prisons violentes ; les entreprises de reporters étaient incapables de voir l’évidence contre leurs membres.
Au fil du temps dans les sociétés en train de se fermer, les nouvelles réelles sont supplantées par de fausses nouvelles et de faux documents. Pinochet a montré aux citoyens chiliens des documents falsifiés pour soutenir sa revendication que des terroristes avaient été sur le point d’attaquer la nation. La charge d’uranium, aussi, était basée sur de faux documents.
Vous n’aurez pas un arrêt des nouvelles dans l’Amérique moderne – ce n’est pas possible. Mais vous pouvez avoir, comme Frank Rich et Sidney Blumenthal l’ont fait remarquer, un flot continu de mensonges polluant bien les nouvelles. Ce que vous avez déjà est une Maison Blanche dirigeant un flot de fausses informations qui est si implacable qu’il est de plus en plus difficile de séparer la vérité du mensonge. Dans un système fasciste, ce ne sont pas les mensonges qui comptent mais le fait de rendre les choses confuses. Quand les citoyens ne peuvent plus discerner les vraies nouvelles des fausses, ils abandonnent leurs réclamations de responsabilité morceau par morceau.
9. Différence d’opinion égale trahison
Présenter la différence d’opinion comme de la « trahison » et la critique comme de « l’espionnage ». Toute société cloisonnée fait cela, tout comme elle élabore des lois qui criminalisent de plus en plus certains types de discours, et élargissent la définition « d’espion » et de « traître ». Lorsque Ben Keller, l’éditeur du New York Times, publia les histoires de Lichtblau/Risen, Bush qualifia de « scandaleuses » la divulgation par le Times de ces informations classées, tandis que les républicains au Congrès réclamaient que Keller soit inculpé de trahison et que les commentateurs de droite et les médias continuaient leur matraquage sur la « trahison ». Certains commentateurs, fit remarquer Conason, rappelèrent aux lecteurs d’un ton suffisant que l’une des peines prévues pour la violation de la Loi sur l’Espionnage était l’exécution.
Conason fait bien de noter à quel point cette attaque représentait une menace sérieuse. Il est également important de se rappeler que le procès spectacle de 1938 à Moscou accusa l’éditeur d’Izvestia, Nikolaï Boukharine, de trahison ; et Boukharine fut, en effet, exécuté. Et il est important de rappeler aux Américains que lorsque la Loi de 1917 sur l’Espionnage fut pour la dernière fois largement invoquée lors des tristement célèbres Raids Palmer de 1919, des activistes de gauche furent arrêtés sans mandat d’arrêt au cours de grandes rafles, maintenus en prison pendant cinq mois, et « battus, affamés, suffoqués, torturés et menacés de mort », selon l’historienne Myra MacPherson. Après cela, la différence d’opinion fut réduite au silence en Amérique, pendant une décennie.
Dans l’Union soviétique de Staline, les dissidents étaient « les ennemis du peuple ». Les national-socialistes qualifiaient de « traîtres de novembre » ceux qui soutenaient la démocratie de Weimar.
Et c’est là que le cercle se referme : la plupart des Américains ne se rendent pas compte que depuis septembre dernier – lorsque le Congrès a, à tort et de façon stupide, passé la Loi de 2006 sur les commissions militaires – le président a le pouvoir de qualifier tout citoyen américain de « combattant ennemi ». Il a le pouvoir de définir ce que signifie « combattant ennemi ». Le président peut aussi conférer le droit à quiconque, dans la branche exécutive, de définir « combattant ennemi » de la façon dont il ou elle le souhaite, et ensuite de faire arrêter des Américains sur cette base.
Même si vous et moi sommes des citoyens américains, même s’il s’avère que nous sommes complètement innocents de ce dont il nous accuse, il a le pouvoir de nous faire arrêter dès demain, alors que nous changeons d’avion à Newark, ou de nous embarquer d’un simple coup frappé à notre porte ; de nous envoyer, vous et moi, sur un vaisseau de la marine ; et de nous maintenir, vous et moi, dans l’isolation, peut-être pendant des mois, en attendant d’être jugé. (L’isolation prolongée, comme le savent les psychiatres, déclenche une psychose chez des prisonniers normalement sains mentalement. C’est pourquoi le goulag de Staline comprenait une cellule d’isolation, comme celui de Guantanamo, dans chaque prison satellite. Le camp 6, l’installation la plus récente et la plus brutale de Guantanamo, ne jure que par les cellules d’isolation).
En tant que citoyens américains, nous finirons par être jugés – pour l’instant. Mais les activistes des droits civiques du Centre pour les droits constitutionnels disent que l’administration Bush tente de plus en plus, de façon agressive, de trouver des moyens de contourner le droit des citoyens américains à un procès équitable. Le statut de « combattant ennemi » est un délit de statut – ce n’est même pas quelque chose que l’on doit avoir fait. « Nous sommes complètement passé à un modèle de détention préventive – vous avez l’air de quelqu’un qui pourrait faire quelque chose de mal, vous pourriez faire quelque chose de mal, alors on va vous garder à vue », raconte une porte-parole du CDC.
Il est sûr que la plupart des Américains ne comprend pas cela… pas encore. Pas étonnant : c’est difficile à croire, même si c’est vrai. Dans toutes les sociétés cloisonnées, à un certain stade, des arrestations ont lieu – habituellement celles de leaders de l’opposition, du clergé et des journalistes. Puis, tout se calme. Après ces arrestations, on trouve encore des journaux, des tribunaux, la TV et la radio, et la façade d’une société civile. C’est juste qu’il n’y a pas de véritable contestation. C’est juste qu’il n’y a pas de liberté. Si on regarde l’Histoire, nous en sommes actuellement au point se situant juste avant ces arrestations.
10. Suspension de l’autorité de la loi
La Loi John Warner de 2007 sur l’autorisation de la défense a donné au président de nouveaux pouvoirs sur la garde nationale. Cela signifie qu’en cas d’urgence nationale - le président a maintenant le pouvoir de déclarer un état d’urgence – il peut envoyer la milice du Michigan pour renforcer un état d’urgence qu’il a déclaré dans l’Oregon, passant outre les objections du gouverneur de l’État et de ses citoyens.
Même au moment où les Américains étaient focalisés sur les malheurs de Britney Spears et la question du père du bébé d’Anna Nicole Smith, le New York Times exprima une opinion sur ce glissement : « Un phénomène récent et inquiétant à Washington est que les lois qui frappent au cœur de la démocratie américaine ont été passées en pleine nuit… Au-delà d’une réelle insurrection, le président peut maintenant utiliser des troupes militaires comme force de police intérieure en réponse à un désastre naturel, une épidémie, une attaque terroriste ou toute « autre condition ».
Les critiques voient cela comme une violation flagrante de la Loi Posse Comitatus – dont le but était de restreindre l’utilisation par le gouvernement fédéral de l’armée pour faire imposer la loi civile. Le sénateur démocrate Patrick Leahy dit que la loi encourage un président à déclarer la loi martiale fédérale. Elle viole aussi la raison même pour laquelle les fondateurs élaborèrent ce système particulier de gouvernement : ayant vu des citoyens menacés par les soldats d’un monarque, les fondateurs étaient tout à fait terrifiés par ce type de concentration du pouvoir des milices, pouvoir exercé sur le peuple américain entre les mains d’une faction directoriale ou oppressive.
Bien sûr, les Etats-Unis ne risquent pas l’effondrement violent et total du système qui suivit l’entrée de Mussolini dans Rome ni la rafle des prisonniers politiques par Hitler. Nos habitudes démocratiques sont trop résistantes, et notre système judiciaire trop indépendant, pour imaginer ce genre de scénario.
En fait, ainsi que le remarquent d’autres critiques, notre essai dans la démocratie risquerait plutôt de s’effondrer par un processus d’érosion.
Il est erroné de penser qu’au début d’un glissement fasciste, on voit se dessiner contre le ciel le contour des fers barbelés. Les premiers temps, tout semble normal à la surface ; les paysans célébraient les festivités des récoltes en Calabre en 1922 ; les gens faisaient du shopping et allaient au cinéma à Berlin an 1931. Au début, tel que le décrit W.H. Auden, l’horreur est toujours ailleurs – pendant qu’une personne se fait torturer, les enfants font du patin à roulettes, les bateaux naviguent sur l’eau : « les chiens continuent à mener leur vie de chien… comme tout se détourne/De la catastrophe sans se presser ».
Tandis que les Américains se détournent sans se presser, se consacrant au shopping sur Internet et à American Idol, les fondations de la démocratie se détériorent de façon irréversible. Quelque chose a changé profondément, quelque chose qui nous affaiblit comme jamais auparavant : nos traditions démocratiques, notre système judiciaire indépendant et la presse libre font aujourd’hui leur travail dans un contexte « de guerre », une « longue guerre » - une guerre sans fin, sur un champ de bataille décrit comme le globe terrestre, dans un contexte qui donne au président – sans que les citoyens américains ne le réalisent encore – le pouvoir de liberté ou de longue incarcération solitaire sur ces mêmes citoyens, parce que lui seul l’a décidé.
Cela signifie qu’un vide est en train de s’étendre sous les fondations de toutes ces institutions qui ont encore l’apparence de liberté – et ces fondations peuvent céder sous certaines pressions. Afin de prévenir une telle issue, il nous faut penser en termes de « et si ».
Et si, dans un an et demi, il y a une autre attaque – disons, Dieu nous en préserve, une méchante bombe ? L’exécutif peut déclarer un état d’urgence. L’Histoire montre que n’importe quel leader, de n’importe quel parti, sera tenté de maintenir les pleins pouvoirs après la crise. Avec la destruction des freins et contrepoids traditionnels, nous ne sommes pas moins en danger avec une présidente Hillary qu’avec un président Giuliani – parce que n’importe quel exécutif sera tenté d’imposer sa volonté par des décrets plutôt que par le processus ardu et incertain de la négociation et du compromis démocratiques.
Et si l’éditeur d’un grand journal US était inculpé de trahison ou d’espionnage, ce dont un effort venu de la droite semblait menacer Keller l’an dernier ? Et s’il est condamné à 10 ans de prison ? À quoi ressembleraient les journaux le lendemain ? À en juger par l’Histoire, leur publication ne s’interromprait pas ; mais ils deviendraient soudainement très polis.
À l’heure actuelle, seule une poignée de patriotes tentent de retenir la vague de tyrannie pour le reste d’entre nous – le personnel du Centre des Droits Constitutionnels, qui a subi des menaces de mort pour avoir représenté les détenus, a pourtant tenu bon jusqu’à la Cour suprême ; les activistes de l’Union des libertés civiles américaines ; et des conservateurs éminents tentant de réduire les nouvelles lois destructrices, sous la bannière d’un nouveau groupe du nom d’American Freedom Agenda. Cette petite collection disparate de gens a besoin de l’aide de tous, y compris de celle des Européens et des autres nations du monde désireuses de mettre la pression sur l’administration, parce qu’ils voient ce qu’une Amérique non bridée par une véritable démocratie interne peut signifier pour le reste du monde.
Nous devons regarder l’Histoire et faire face aux « et si ». Car si nous continuons sur cette pente, la « fin de l’Amérique » pourrait survenir pour chacun d’entre nous de manière différente, à un moment différent ; chacun de nous pourrait à un moment différent être forcé de regarder en arrière et de penser : avant, c’était comme ça – et maintenant, c’est comme ça.
« L’accumulation de tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, entre les mêmes mains… est la même définition de la tyrannie », écrivait James Madison. Nous avons encore le choix de stopper la descente ; nous pouvons tenir notre position et nous battre pour notre nation, et reprendre la bannière que les fondateurs nous demandèrent de porter.
Le livre de Naomi Wolf, The End of America : A Letter of Warning to a Young Patriot (La Fin de l’Amérique : une Lettre d’Avertissement à un Jeune Patriote) sera publié par Chelsea Green en septembre
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