29 janv. 2011

Les Iraniens utilisaient le pétrole bien avant 1908 (Partie 1)


La tribu des Seyed Ghiri   L’histoire de la découverte du pétrole en Iran au début du 20e siècle est très connue. Rappelons que William Knox D’Arcy, un riche Anglais, obtint une concession de la part du roi de l’Iran -Mozaffar-e-Din Chah [1]- lui donnant l’autorisation de prospecter sur tout le territoire de l’Iran (sauf les cinq provinces du Nord) pour y trouver et extraire du pétrole. Après sept ans de tentatives infructueuses, l’équipe qu’il envoya en Iran découvrit du pétrole à Masjed-Soleymân le 26 mai 1908. Le "puits de pétrole numéro1" de Masdjed-Soleyman, celui que les Anglais ont foré, est situé dans une vallée appelée "Vallée des ours". Ce puits est à très peu de distance d’une source de pétrole qu’une tribu locale, celle des Seyed Ghiri [2], avait découverte bien avant.

La revue "Naft-e-Pars" [3] a interviewé, il y a quelques mois, un homme de 81 ans, qui s’appelle "Abdol-Hosseyn Motahar". Cet homme est né à Chouchtar et a vécu pendant son enfance à Masjed-Soleymân. Il est l’un des membres de la tribu des Seyed Ghiri, qui vit dans les environs de la ville de Chouchtar. Monsieur Motahar raconte que quelques membres de sa famille étaient, du temps de la dynastie des Qâdjârs [4], des commerçants qui allaient de la province du Khouzestan jusqu’à la province d’Ispahân pour y échanger des produits qu’ils ramenaient et vendaient dans le Khouzestan.
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Carte de l’Iran, province du Khouzestan
L’une des endroits de repos de la caravane était proche de la Vallée des ours. Monsieur Motahar raconte que ses ancêtres y découvrirent un jour, par hasard, une source ; le liquide qui s’en échappait était un mélange d’eau et d’une matière noire et malodorante, qui restait à la surface de l’eau. C’est ainsi que cette famille se spécialisa dans la fabrication du bitume, au point d’avoir une renommée dans ce domaine, si bien qu’au moment du choix d’un nom de famille imposé par l’état civil sous le règne de "Réza Chah" [5], la tribu choisit ce nom de "Seyed Ghiri"(les Maîtres du bitume).
Les ancêtres de Monsieur Motahar avaient construit une marmite cylindrique de 4 mètres de haut et d’un rayon de 2 mètres, avec un trou dans sa partie inférieure qu’ils fermaient avec des pierres et de la ferraille avant de la remplir de pétrole. Ils allumaient ensuite un feu ardent sous la marmite, qui restait allumé pendant une semaine. L’eau et le pétrole brut s’évaporaient et se décomposaient ainsi progressivement, jusqu’à l’obtention d’un bitume liquide. Ils ouvraient ensuite le trou situé en bas de la marmite, et versaient le bitume dans l’eau d’une flaque située à même la vallée, pour qu’il se refroidisse et prenne la forme d’une pâte. Ce bitume durci était transporté jusqu’à Chouchtar pour y être vendu. On utilisait à l’époque le bitume pour isoler les murs des bâtiments contre l’humidité, chauffer les fours destinés à faire fondre les métaux, séparer le riz non décortiqué, et fabriquer des nattes de jonc.
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Carte de la province du Khouzestan
Et Monsieur Motahar ajoute que sa famille détient, encore à l’heure actuelle, un document historique : un contrat de location des terrains de la vallée, signé en 1907 entre le représentant de William Knox D’Arcy et deux représentants de la tribu des Seyed Ghiri ! Monsieur Motahar raconte que Reynolds, le responsable des forages de la compagnie de D’Arcy, avait su d’une manière ou d’une autre que la population locale de Masjed-Soleymân fabriquait du bitume à partir d’une source située dans une vallée ; il était venu dans la région ; mais les Seyed Ghiri avaient protesté quand Reynolds avait commencé à étudier le terrain pour y effectuer des forages. Reynolds avait argué qu’il avait une autorisation de la part du gouvernement central, mais les Seyed Ghiri lui avaient rappelé que cette terre leur appartenait depuis des générations.

L’affaire fut portée auprès du consul d’Angleterre à Ahvâz, puis auprès du gouvernement de l’Iran, qui proposa à la compagnie de D’Arcy de louer aux Seyed Ghiri les terrains de la vallée, pour que la population locale ne s’estime pas lésée. Ce contrat de location était renouvelable tous les 3 ans. Il était stipulé dans ce contrat que si le forage effectué par la compagnie de D’Arcy donnait des résultats, cette compagnie devait donner à la tribu des Seyed Ghiri 10 500 kilos de pétrole et 10 500 kilos de bitume chaque année au mois d’octobre. La compagnie de D’Arcy devait également s’abstenir de vendre elle-même du pétrole et du bitume dans la ville de Chouchtar. Ce contrat, signé un an avant la découverte du pétrole par la compagnie de D’Arcy, est actuellement gardé dans un coffre d’une banque en Iran.
Mais l’utilisation du pétrole en Iran est bien antérieure à la fabrication du bitume par les Seyed Ghiri : Dans deux autres articles de ces mêmes numéros de la revue Naft-e-Pârs, on nous rappelle qu’il existe des indices nous montrant que les Iraniens connaissaient et utilisaient le pétrole depuis des siècles, et même des millénaires.
Dans le dictionnaire Dehkhodâ, sont également cités des vers du Chahnâmeh (le "Livre des Rois"), poème épique de Ferdowsi, datant du 10e siècle, où il est fait allusion de l’utilisation du pétrole dans les guerres. Le mot "naft" est utilisé tel quel dans ces vers. Le "Chah Nâmeh" est le récit des rois de l’Iran, depuis la fondation de ce pays jusqu’à la conquête de l’Iran par les Arabes. Ferdowsi a utilisé des documents écrits en langue pahlavi, datant donc d’avant la conquête des Arabes, pour son livre. Les récits du Chahnâmeh donnent un aperçu fidèle de l’Histoire de l’Iran antique.En effet, dans l’Encyclopédie Dehkhodâ [6], nous lisons à la rubrique "naft" ("naft" signifie "pétrole" en persan) que ce mot existe sous la forme de "npt" dans des textes écrits par Mâni [7] en langue pahlavi [8], et sous la forme de "napta" dans les textes de l’Avestâ [9]. Le mot "naft" est d’origine akkadienne ; il est tiré d’un verbe -le verbe "nabato"- qui signifiait dans cette langue "éclairer", "avoir une lumière éclatante", "scintiller". La langue akkadienne était une langue sémitique ancienne, utilisée en Mésopotamie à partir du 3e millénaire avant J.C. L’akkadien fut supplanté par l’araméen à la fin du 6e siècle avant J.C. On pense que le choix d’un mot tiré de ce verbe pour désigner le pétrole était dû au fait qu’il existait des endroits, en Mésopotamie et en Elam, où le pétrole avait jailli spontanément à la surface de la terre, et les gens voyaient que ce liquide scintillait, en particulier la nuit.
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Les auteurs de ces articles mentionnent des textes écrits par des historiens (en particulier Procope [10] dans son "Livre des Guerres") qui décrivent comment les soldats perses lançaient vers l’ennemi des récipients enflammés dont le contenu était un mélange de souffre, de bitume, et de pétrole. Il existait dans les armées de la Perse une unité de soldats spécialisés dans le lancement de ces récipients ; ces soldats portaient des vêtements spéciaux destinés à les protéger du feu. Saadi, poète du 13e siècle après J.C, utilise le terme "naft-andâzi", qui signifie en persan "lancer du pétrole" ; ce terme désignait le "feu d’artifice" il y a quelques siècles.
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Les auteurs de ces articles rappellent également qu’il existait dans la Perse Antique quelques temples zoroastriens que l’on appelait "temples éternels" car un feu y était perpétuellement allumé, sans que l’on utilise à cette fin un combustible "visible" tel que le bois. Ces temples avaient une grande importance pour les Iraniens. On pense actuellement que ces temples zoroastriens avaient été construits délibérément à proximité d’une source de pétrole ou de gaz naturel, de manière à acheminer ces combustibles jusque dans l’enceinte du temple pour garder allumé le feu sacré. L’un de ces temples était celui de la ville de "Parsoumâch", première ville fondée par les Perses [11] quand ils sont arrivés au Sud-ouest des monts du Zagros ; ville qui a changé de nom à plusieurs reprises et que l’on connaît de nos jours sous le nom de "Masjed-Soleymân".


Notes

[1] Roi de la dynastie des Qâdjârs. Il a régné de 1896 à 1907.
[2] Le nom de cette tribu, "Ghiri", est tiré du mot "ghir" qui signifie "bitume" en persan.
[3] Revue Naft-e-Pârs, numéros 45 et 46, Farvardin et Ordibéhechte 1386 (avril et mai 2007). Cette revue est publiée par la compagnie pétrolière iranienne Naft-e-Pârs.
[4] 4. La dynastie des Qâdjârs a régné en Iran de 1796 à 1925.
[5] Réza Chah fut le fondateur de la dynastie des Pahlavi. Il régna en Iran de 1925 à 1941. L’état civil fut institué en Iran au début des années 1930.
[6] L’Encyclopédie Dehkhodâ, du nom du lexicographe qui le commença, est le dictionnaire de référence de la langue persane.
[7] Fondateur du manichéisme (216-274 après J.C)
[8] Langue également appelée "moyen perse", qui fut l’organe principal de la civilisation sassanide et de la littérature mazdéenne.
[9] L’Avestâ est le livre sacré des zoroastriens. La plus grande partie des textes de l’Avestâ date de l’époque sassanide (226-651 après J.C) ; mais une partie des textes de l’Avestâ date de l’époque achéménide (550-331 avant J.C).
[10] Historien byzantin (fin du 5e siècle-vers 562 après J.C).
[11] Au 2e millénaire avant J.C, les Aryens, peuple indo-européen, s’installèrent sur le plateau iranien. Au 9e siècle avant J.C, leurs descendants, les Mèdes et les Perses, atteignirent la chaîne du Zagros, en trois régions de l’ouest de l’Iran. Ils y fondèrent les villes de Parsoua au sud-ouest du lac Oroumieh, et Parsouma (ou Parsoumâch) au nord de l’Elam.

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