21 déc. 2010

La communauté juive d'Iran / Histoire et reportage.

Partie 1 . HISTORIQUE 
 La communauté juive d'Iran est l'une des plus anciennes de la diaspora puisque les juifs s'y sont installés (c'était le royaume de Perse) depuis le VIe siècle avant JC.
Cyrus-le-Grand, empereur de Perse (-539) l'emporta sur la Babylonie et permit avec Darius II en -423 la reconstruction du Temple (cf. Ezra 6, 14 et le livre de Ezra et celui de Néhémie et Isaïe 44, 28 - 45,1). Cela est vu dans la tradition juive comme l'exemple optimal de la relation des nations à Israël et le modèle de l'avenir.
Il faut lire le livre de Daniel et celui d'Esther pour être transportés dans ce monde. Le monde de l'époque était
centré sur des métropoles avec leur culture et leurs dieux (voyez Ezra 1, 3) mais sans une conception nationaliste comme aujourd'hui. Un empire pouvait alors être très composite. L'araméen était pratiqué dans toute la région comprenant des empires différents. Cela crée des affinités entre la culture juive et le trésor historique de ces peuples.
De même, la tombe du prophète juif Daniel se trouve à Soussa (près de la frontière actuelle de l'ran avec l'Iraq). Hamadhan est également célèbre pour la tombe d’Esther et Mordechai, et la synagogue est un important lieu de pèlerinage pour la vieille communauté des Juifs d’Iran.
L'Iran était le pays le plus peuplé de juifs orientaux ; ils étaient 95.000 en 1948, date de la fondation de l'Etat d'Israel. Après une première émigration partielle de 55.000 jusqu'en 1968, selon les statistiques de l'Agence juive et le retour en Iran de 3.000, il en restait encore 60.000 en 1968 et il en reste actuellement 25.000. L'Alliance Israélite Universelle et l'ORT (francophones) et le Joint (américain) ont profondément marqué cette communauté. Cela a entrainé aussi une grande assimilation, la diminution de l'encadrement religieux traditionnel et un développement des mariages mixtes.
Les juifs iraniens avaient obtenus l'égalité des droits dans la Constitution de 1906 et l'oppositon aux juifs n'était pas violente. Ils avaient le droit d'élire un député à l'assemblée nationale (Majlis) mais tout non-musulman-Chiite ne pouvait devenir ministre. Ils étaient peu présents dans les fonctions publiques.
Depuis longtemps, l'Iran a une politique indépendante des pays arabes et de l'Occident face à la Palestine ou face à Israël.
En 1921 déjà, l'Iran gérait ses 30.000 citoyens de Palestine depuis son consulat d'Egypte. Et, en 1934, l'Iran établit son propre consulat à Jérusalem.
L'arrivée de la dynastie Pahlavi depuis 1925 améliora encore les relations avec les juifs et l'Etat juif. Depuis la création de l'Etat d'Israel, le sionisme y a été actif. L'Iran a voté par solidarité contre l'Etat d'Israel mais en même temps, il bâtissait des liens sous le couvert de la protection des biens iraniens en Israel. Dès le 11 mars 1949, l'Iran s'oppose aux pays arabes en reconnaissant Israël.
En fait, ce n'est pas seulement l'originalité islamique de l'Iran qui l'amène à se différencier des pays arabes ni même le fait que les Iraniens ne sont pas arabes ; ce n'est pas seulement le fait que sa langue et sa culture ne sont pas arabes ; c'est le fait que l'Iran n'oublie pas que les Arabes ont été des envahisseurs en Iran, des destructeurs d'une culture millénaire, des dominateurs et qu'ils ont des prétentions précises sur les régions pétrolifèrestrès riches du Khuzestan, deShatt-el-Arab (jonction du Tigre et de l'Euphrate sur la côte) et du Golfe persique que les arabes nomment "le Golfe arabe". Dans les périodes de conflit les plus vifs entre l'Iran et Israël, il a été découvert maintes fois que l'Iran demandait des armes à Israël pour se protéger de ses menaçants voisins et les obtenait secrètement. Il y avait un intérêt commun pour combattre des ennemis respectifs.
A la veille de la révolution de 1979, il y avait encore 100.000 juifs en Iran, ils sont aujourd'hui entre 15 000 et 20 000, vivant principalement dans les trois grandes villes iraniennes que sont Téhéran, Chiraz et Ispahan (ville construite et peuplée par des Juifs, comme celle de Naïn). 



Partie 2 .lundi 6 août 2007 - Jonathan Cook - Counterpunch

Pourquoi l’Iran ne commence-t-il pas par rayer ses propres Juifs de la carte ?


Le  problème juif d’Israël à Téhéran
L’Iran est la nouvelle Allemagne nazie et son Président, Mahmoud Ahmadinejad, le nouvel Hitler. Telles ont été les déclarations des officiels israéliens pendant des mois alors qu’avec leurs alliés américains, ils essayaient de persuader ceux qui doutaient encore à Washington qu’une attaque contre Téhéran était essentielle. Et s’il faut en croire les derniers articles de presse, il semble bien qu’ils pourraient gagner la bataille ‘des cœurs et des esprits’ : le vice-Président Dick Cheney est en train de ramener la Maison Blanche sur le chemin de l’agression militaire.
Au début de cette année, Benyamin Netanyahou, le leader de l’opposition en Israël, et l’homme qui paraît s’être lui-même donné le titre d’alarmiste en chef nous disait :« Nous sommes en 1938 et l’Iran est l’Allemagne. L’Iran se hâte à s’armer de la bombe atomique. » Et d’Ahmadinejad, il disait : « Il prépare un nouvel Holocauste pour l’Etat juif ».*
Il y a quelques semaines seulement, alors que les renseignements militaires israéliens déclaraient - comme ils le font régulièrement depuis les années 1990 - que l’Iran n’était qu’à une année ou presque du « point de non retour » dans le développement d’une ogive nucléaire, Netanyahu en rajoutait. « L’Iran pourrait être la première puissance nucléaire insensible à la dissuasion. » prévint-il, et : « Ceci est un problème juif, tout comme Hitler a été un problème juif... l’avenir du peuple juif dépend de l’avenir d’Israël. »
Mais Netanyahou est loin d’être le seul à faire de telles proclamations extravagantes à propos d’un génocide qui menace depuis l’Iran. Le nouveau Président d’Israël, Shimon Peres, a comparé une bombe nucléaire iranienne à « un camp de concentration volant ». Et le Premier ministre, Ehoud Olmert, a déclaré à un journal allemand l’année dernière : « [Ahmadinejad] parle comme Hitler le faisait en son temps de l’extermination de toute la nation juive. »
Il y a une question intéressante avec cette idée qu’ils avancent « L’Iran est comme l’Allemagne nazie ». Car si Ahmadinejad est réellement un Hitler prêt à commettre un génocide contre les Juifs d’Israël dès qu’il se sera doté de l’arme nucléaire, pourquoi alors y a-t-il quelque 25 000 Juifs à vivre paisiblement en Iran et pourquoi sont-ils si peu disposés à quitter l’Iran malgré les sollicitations répétées d’Israël et des Juifs américains ?
Sur quoi se base Israël pour faire ces pronostics alarmants (l’échafaudage idéologique étant monté, vraisemblablement, pour justifier une attaque contre l’Iran) ? Obligeamment, alors que George Bush défendait sa politique sur l’Irak le mois dernier, il nous a rappelé à nouveau la menace que l’Iran était censé représentée : « L’Iran menace de rayer Israël de la carte ».
Ce mythe a été réutilisé sans fin depuis une erreur de traduction d’un discours d’Ahmadinejad il y a presque deux ans. Les experts en farsi (langue persane la plus pratiquée - ndt) l’ont vérifié, le Président iranien, loin de menacer Israël de destruction, se référait à un discours antérieur du défunt ayatollah Khomeini, lequel cherchait à rassurer les sympathisants des Palestiniens en disant que : « Le régime sioniste de Jérusalem disparaîtrait de la page du temps ».
Il ne menaçait pas d’exterminer les Juifs ni même Israël. Il comparait l’occupation israélienne des Palestiniens à d’autres systèmes illégitimes de domination dans le passé, y compris celui des Shahs qui ont régné sur l’Iran, de l’Afrique du Sud de l’apartheid et de l’empire soviétique. Néanmoins, cette traduction erronée a survécu et prospéré car Israël et ses partisans l’ont exploitée pour leurs propres objectifs dans une grossière propagande.
En attendant, la communauté juive iranienne forte de 25 000 Juifs est la plus importante du Moyen-Orient en dehors d’Israël et trouve ses racines jusqu’à 3 000 ans en arrière. En tant que communauté non musulmane d’Iran, parmi d’autres, les Juifs y subissent une discrimination mais ils ne sont certainement pas dans une situation pire que celle que connaît le million de citoyens palestiniens en Israël - et ils sont bien loin de connaître celle des Palestiniens sous occupation israélienne en Cisjordanie et à Gaza.
Les Juifs iraniens ont peu d’influence sur les décideurs de leur pays et ne sont pas autorisés à postuler à des postes dans l’armée ou dans la fonction publique. Mais ils profitent de beaucoup de libertés. Ils ont un représentant élu au parlement, ils pratiquent leur religion ouvertement dans les synagogues, leurs organisations caritatives sont financées par la diaspora juive et ils peuvent librement se déplacer, y compris venir en Israël. A Téhéran, il y a six bouchers casher et environ 30 synagogues. Le cabinet d’Ahmadinejad a récemment fait une donation à un hôpital juif de Téhéran.
Comme Ciamak Moresadegh, dirigeant juif iranien, le fait observer : « Si vous pensez que le judaïsme et le sionisme ne font qu’un, c’est comme si vous pensiez que l’Islam et les Talibans c’est la même chose, et ce n’est pas la même chose. ». Les dirigeants de l’Iran dénoncent le sionisme qu’ils accusent de discrimination aggravée contre les Palestiniens, mais ils ont également déclaré à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucun problème avec les Juifs, le judaïsme ni même avec l’Etat d’Israël. Ahmadinejad, caricaturé comme un marchand de génocide, a en réalité appelé à « un changement de régime » - et seulement dans le sens où il croit que, par référendum, tous les habitants d’Israël et des territoires occupés, y compris les réfugiés de la guerre, devraient être consultés sur la nature du gouvernement.
En absence de menaces contre les Juifs iraniens, les médias israéliens ont informé récemment que le gouvernement israélien essayait de trouver d’autres moyens pour attirer les Juifs iraniens en Israël. Le journal Ma’ariv précise que les propositions précédentes avaient trouvé peu de preneurs. Il y a, note l’article, « un manque de désir chez ces milliers de Juifs iraniens pour le départ ». Selon le journal Forward de New York, une campagne menée pour convaincre les Juifs iraniens d’immigrer en Israël n’a obtenu, entre octobre 2005 et septembre 2006, que 152 départs sur les 25 000 Juifs vivant en Iran, et la plupart d’entre eux ont déclaré immigrer pour des raisons économiques et non politiques.
Intensifiant ses efforts - vraisemblablement pour échapper à l’incongruité embarrassante de proclamer un second Holocauste imminent alors que des milliers de Juifs vivent tranquillement à Téhéran -, Israël encourage maintenant une action de donateurs juifs visant à octroyer 60 000 dollars à chaque famille juive iranienne qui viendrait s’installer en Israël, en plus d’un tas d’incitations financières déjà existantes proposées aux Juifs immigrants, notamment des prêts avantageux pour l’immobilier.
L’annonce n’a rencontré que du dédain dans la société des Juifs iraniens et ceux-ci ont publié une déclaration disant que leur identité nationale n’était pas à vendre.« L’identité des Juifs iraniens n’est pas monnayable, quelle que soit la somme. Les Juifs iraniens comptent parmi les plus anciens Iraniens. Les Juifs d’Iran aiment leur identité et leur culture iraniennes, alors les menaces et les incitations politiques immatures ne réussiront pas à rayer l’identité des Juifs iraniens. »
Cependant, ce geste financier inopportun pourrait réussir de son seul fait s’il faut se référer à l’expérience passée. Israël a initié un plan similaire il y a quelques années, quand l’économie argentine plongeait dans une profonde récession, en offrant 20 000 dollars à chaque Juif qui s’installerait en Israël. Quelques mois plus tard, les médias israéliens diffusaient l’information qu’il y avait une recrudescence des agressions antisémites en Argentine qui venaient s’ajouter à la pression d’Israël pour le départ des Juifs. Naturellement, il n’a été fait aucun lien de causalité possible entre les agressions et les pots-de-vin proposés par Israël pour que les Juifs abandonnent leur patrie pendant que les autres Argentins s’enfonçaient dans la pauvreté.
Mais les incitations financières - avec une possible réaction populaire violente - n’ont pas réussi à faire bouger les Juifs iraniens et il y a de bonnes raisons de craindre qu’Israël ne recourt à d’autres méthodes, plus douteuses, pour les encourager à immigrer. C’est, assurément, une voie qu’a déjà empruntée Israël pour d’autres communautés de Juifs arabes - considérées par lui comme des espions potentiels et des agents provocateurs à utiliser en cas de besoin, ou comme de « la poussière humaine », selon les propres termes du premier Premier ministre d’Israël, David Ben Gurion - pour les recruter pour sa « bataille démographique » contre les Palestiniens.
Avec l’ « opération Susannah » en 1954, par exemple, Israël a recruté, de façon irresponsable, un groupe de Juifs égyptiens pour qu’ils perpétuent une série d’attentats en Egypte afin de dissuader la Grande-Bretagne de se retirer de la zone du Canal de Suez. Quand le complot fut découvert, cela a naturellement jeté une ombre de déloyauté sur toute la communauté juive d’Egypte. Après l’invasion, puis l’occupation, du Sinaï par Israël deux années plus tard, le gouvernement de Gamal Abdel Nasser a expulsé quelque 25 000 Juifs égyptiens et, après en avoir emprisonné d’autres suspectés d’espionnage, il a expulsé le reste rapidement.
Plus connu encore, Israël s’est donné beaucoup de mal pour s’assurer du départ d’Irak de la plus grande population juive du monde arabe. En 1950, une série d’explosions qui visaient les Juifs de Bagdad a contraint à un exode rapide vers Israël quelque 130 000 Juifs irakiens, convaincus que les extrémistes arabes étaient derrière ces attentats. Ce n’est que plus tard qu’on a appris que les auteurs des attentats étaient des membres du sionisme clandestin soutenus par le gouvernement israélien.
Maintenant, les Juifs iraniens pourraient se considérer traités plus ou moins de la même manière - comme de simples objets humains. De plus en plus d’articles disent qu’Israël se sert de la liberté de déplacement entre l’Iran et Israël dont bénéficient les Juifs iraniens et leurs parents israéliens, pour effectuer des missions d’espionnage sur le programme nucléaire iranien. Parmi les sources de ces articles, celles du journaliste américain, Seymour Hersh**, qui cite des fonctionnaires du gouvernement US.
Les retombées de telles opérations ne sont pas difficiles à prévoir. Assailli par les Etats-Unis et la communauté internationale, Téhéran s’en prend par des mesures sévères aux groupes dissidents et minoritaires, craignant une instabilité de sa propre autorité et que la subversion menée par les agents US et israéliens pour laquelle on fait tant de publicité n’aille qu’en s’intensifiant.
Jusqu’ici, la plupart des officiels de Téhéran ont pris garde à ne pas laisser entendre que les Juifs d’Iran avaient une double loyauté, tout comme l’a fait la communauté juive locale elle-même, conscients l’un et l’autre qu’une telle confrontation servirait les intérêts d’Israël. Mais à mesure que les tensions s’accroissent et que le besoin d’Israël de démontrer les intentions génocidaires de Téhéran est plus fort, cette politique pourrait finir par aller à l’échec, et avec elle, l’avenir des Juifs d’Iran.
Pour Israël, le bien-être des familles juives iraniennes, semble-t-il, est moins important que leur valeur en tant qu’outil de propagande dans sa bataille à persuader le monde que la coexistence avec le monde musulman est impossible. Ceux qui veulent ourdir un clash des civilisations n’apprécient pas cet héritage juif de 3 000 ans en Iran, pour eux, ce n’est qu’un obstacle de plus à la guerre.


Jonathan Cooq est journaliste, il habite Nazareth, en Israël. Il est l’auteur de « Blood and Religion : the Unmasking of the Jewish and Democratic State 

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